Il ne faut que quelques instants à Fallon pour se retrouver devant sa maison et rien ne lui est arrivé sur la route qu‘elle a parcouru en solitaire. Matthew est trop protecteur, mais c'est ainsi qu'elle l'apprécie. La demoiselle se positionne devant sa porte d'entrée et se met à fouiller ses poches dans l'espoir d'y trouver ses clefs; la tâche aurait due être relativement aisée mais l'obscurité étant totale, la clef refuse de s'insérer dans la serrure.

" Allez!" proteste la jeune femme.

Pendant qu'elle livre bataille, elle ne réalise pas qu‘une ombre s‘approche dans son dos. Lentement, deux bras musclés l'entourent pour la saisir avec force et la retourner brutalement. Fallon n'a pas le temps de réagir : quelqu'un qu'elle suppose être un homme la retient fermement et l'empêche de se débattre.

" Aidez-moi! Aidez-moi! Par pitié, sauvez-moi! hurle son agresseur.
- Lâchez-moi je vous en prie! Vous me faites mal!
- Sauvez-m... "

L'homme ne termine pas sa phrase et s'effondre aux pieds de la jeune femme. Celle-ci ne réalise pas encore ce qui vient de lui arriver, cela s‘est passé tellement vite. Elle tente de calmer sa respiration mais n'ose pas porter secours à l'individu de peu qu'il se réveille et la violente à nouveau. Son regard reste désespérément fixé sur lui sans qu'elle parvienne à trouver la meilleure solution à adopter...

" Ok, coupez! " lança une nouvelle personne.

Soudain, des lumières artificielles vinrent éblouir les protagonistes. Dans le décor si sombre quelques secondes auparavant, on pouvait distinguer des projecteurs, des caméras et une ribambelle de fils électriques jonchant le sol. Fallon n'avait pas bouger de sa place et s'efforçait juste de remettre plusieurs mèches de cheveux en place. A ses pieds, son agresseur se relevait. Une fois dans une position stable, il examina ses mains égratignées.

«  J'espère que c'était la dernière prise, j'en ai marre de tomber! Pourquoi on ne pourrait pas mettre un matelas qui serait masqué au montage ou alors tourner la scène en plusieurs plans?
- Parce que je ne veux pas tricher, répondit l‘homme qui avait interrompu la scène. Vous apprendrez, Monsieur Terringfield, que c'est ce qui différencie les bons réalisateurs des mauvais. De plus, je trouve votre jeu bien meilleur quand on filme en plans-séquences. »

Flatter l'égo des comédiens; le réalisateur savait parfaitement comment procéder quand ceux-ci commençaient à se rebeller. Malgré le poids qui pesait sur ses épaules avec la création de cette nouvelle série, il était plutôt serein et supervisait le tournage avec un talent et une organisation quasi sans faille.

« Bon, cette fois-ci c'était la bonne, dit-il. Et les autres, ça a été? Eddie?"

Un homme émergea des haies entourant la demeure de Fallon en faisant attention de ne pas renverser la caméra sur pied qui se tenait à ses côtés.

" Ca peut aller monsieur, dit-il au réalisateur.
- Non! Pas de "ça peut aller". Soit c'est bon, soit ce n'est pas bon.
- Alors c'est bon.
- Tu es sûr? S'il n'y a rien d'exploitable et que tu m'as affirmé le contraire, ça va mal aller pour toi.
- Non non, la prise est bonne, je vous l'assure.
- Ok très bien. Et au fond, Jerry? "

Son regard se tourna à l‘opposé, à l'endroit où les deux personnages avaient fait leur apparition au début de la scène. Au bout de la rue se trouvaient un des acteurs -celui qui interprétait Matthew- et encore un homme auprès d'une caméra qui répondit en hurlant pour se faire entendre.

« J'avais déjà une bonne prise avant celle-ci donc c'est ok de mon côté! »
- Parfait, donc c'est bon pour ce soir, conclut le réalisateur. On remballe tout et rendez-vous au studio demain matin à huit heures. Merci à tous et bonne nuit. »

Il abandonna sa caméra et aussitôt tout un groupe de personnes qui s'était tenu en retrait jusque là s'avança pour remballer les éléments de décor et le matériel. Au second plan, le seul acteur encore présent -Aaron Terringfield qui avait émis sa réclamation auprès du réalisateur- sortait du plateau pour aller retrouver costumières et maquilleuses destinées à lui ôter tout son attirail.

Heureux de ce qu'il avait accompli, Michael s'apprêtait à rentrer chez lui le sourire aux lèvres. La journée s'achevait enfin. Officiellement en tout cas. En réalité, il devait encore programmer la journée du lendemain, revoir quelles scènes allaient être tournées pour décider de l'angle à adopter et quelle vision en donner... La nuit serait courte. Michael Wallams, bien qu'ayant encore des lacunes dans le métier de réalisateur, aimait ce qu'il faisait et il était convaincu qu'il avait une longue carrière devant lui. Son ambition et son sérieux en feraient quelqu'un de respecté et peu importe si pour cela il ne devait passer que des nuits blanches, il était prêt à tous les sacrifices pour atteindre son but.

« Michael! Michael, s'il vous plaît! »
Plongé dans ses pensées, le réalisateur n'avait pas remarqué son assistant qui tentait de le rattraper avant que sa voiture ne démarre.

« Michael, je voulais vous demander une précision sur le tournage de demain.
- Est-ce que cela pourrait attendre jusque là Jerry? J'ai encore beaucoup de choses à organiser et trop peu de temps pour le faire... »

Il allait mettre le moteur en route sans accorder d'avantage d'attention à son assistant quand il réalisa qu'il avait oublié de mettre une chose au point avec son actrice principale.

" Où est Jude? " demanda-t-il soudainement.

Jerry étant incapable de lui donner une réponse rapide, il sortit en trombe de son véhicule et repartit vers le plateau de tournage à vive allure.

" Hé, quelqu'un a -t-il vu Jude Carter? " demanda-t-il à nouveau.

Il eut en guise de réponse un brouhaha de "non" timides, "je ne sais pas", "elle était là il y a quelques minutes". En clair, personne ne savait où elle était.

« Je sens que cette actrice va nous donner du film à retordre... » souffla le trentenaire.

Le lendemain matin, tout le monde était arrivé à l'heure au studio -voire en avance. Malgré la fatigue accumulée, le réalisateur était déjà sur le pied de guerre pour faire activer tout le monde.

« Redressez le micro, il est trop bas! Allez-y avec la lumière! Je vous rappelle, pour ceux que ça intéresse encore, que la scène est censée se dérouler dans une maison en pleine nuit! »

Il enchaînait les directives à droite, à gauche, aux techniciens du son, au scripte, à l'accessoiriste car tout devait aller très vite. Le timing était extrêmement serré et aucune négligence qui pourrait les mettre en retard ne serait tolérée.

« Hé stop! Arrêtez avec les coussins! On n'aura bientôt plus la place d'allonger l'acteur sur le canapé! Les réglages de caméra, c'est fait ?
- Euh, pas encore, lui répondit-on, mais ça se...
- Bon, écoutez-moi tous très attentivement : il est impératif que tout soit en place dans cinq minutes! Ceux qui ne seront pas prêts à la fin de ce délai auront du souci à se faire quant à la prolongation de leur participation à ce tournage. Jerry, les acteurs ont leur texte ?
- Ils font une nouvelle lecture et la maquilleuse peaufine leur éclat, répondit l'assistant-réalisateur en essayant de transmettre un peu de son calme à son interlocuteur.
- Bien, alors aide-moi à faire accélérer les techniciens! » Rétorqua celui-ci.

Etre performant et efficace si tôt et si rapidement était une tâche difficile une bonne partie des techniciens, la plupart n'ayant pas encore une grande expérience des plateaux de tournage. Malgré tout, chacun se démenait pour ne pas se faire distancer et risquer sa place : travailler sur le terrain était une chance en or dans ce domaine.
Ils avaient tous tant de choses à faire et à penser qu'aucun n'aurait pu soupçonner qu'il y avait un intrus quelque part dans la pièce.