Milo enfila son jean et alla s'assoir à table sans se poser de question, mais en continuant de zieuter discrètement l'apprentie cuisinière. De plus prêt, il pouvait voir les milliers de taches de rousseur qui constellaient sa peau, sur ses pommettes, son menton, le haut de sa poitrine et sur ses jambes de façon plus éparse. C'était la première fois que Milo côtoyait une vraie rousse d'aussi prêt et ses particularités physiques le fascinaient. De plus, elle ne s'était pas montrée distante avec lui et avait préparer le petit-déjeuner pour trois comme s'ils se connaissaient depuis un certain temps. D'ordinaire, les conquêtes de Chad filaient très tôt le matin comme des voleuses ou restaient quelques heures en ignorant complètement le colocataire gênant.

« Je m'appelle Léa, dit soudainement la jeune femme.
- Milo.
- Tu n'étais pas au bar avec ton copain hier?
- Non, je ne suis pas venu. J'avais un gros coup de barre, en fait.
- C'est dommage... La soirée aurait pu prendre une tournure complètement différente, déclara-t-elle en tendant une tasse de café à son interlocuteur.
- C'est-à-dire? Demanda celui-là.
- Ce n'est pas à ton colocataire que j'aurais tenu compagnie... »

Elle se tenait penchée en avant si bien que le jeune homme était aux premières loges pour constater que la chemise large ne cachait plus aussi efficacement les atouts de son interlocutrice. A n'en pas douter elle l'avait fait exprès, alors lui faire la remarque aurait été inutile. Le spectacle était loin d'être désagréable, mais Milo n'était pas toujours friand de ce genre de comportement des femmes qui passaient d'un amant à un autre sans remord -et là en l'occurrence son précédent partenaire était son meilleur ami. Aussi, il décida de calmer les ardeurs de la sulfureuse rouquine, sans la priver pour autant de son beau sourire.

« Tu me surestimes. Chad est un meilleur coup que moi, et tu n'as rien perdu en passant la nuit avec lui.
- Tu as l'air de savoir de quoi tu parles... rétorqua la demoiselle. Mais je ne te juge pas : dans les colocations, ça finit toujours par déraper, même entre gens du même sexe. »

Milo manqua de s'étouffer avec son café. Il n'aimait pas juger les gens sans les connaître, mais celle-là devait être un tantinet dérangée pour penser que son acolyte et lui-même avaient rejoué Brokeback Mountain (ce n‘était pas du tout cela qu‘il avait voulu dire en plus).

« Euh tu fais fausse route là, expliqua-t-il. Mes expériences sexuelles se sont toutes déroulées avec des femmes et je pense que ça continuera ainsi encore un peu... Et pour te sauver la mise, je te conseille de ne pas insinuer ce genre de trucs devant Chad...

- Qu'est-ce qu'elle ne doit pas insinuer devant Chad? » intervint le principal concerné en faisant son entrée dans la pièce avec un simple boxer.
- Je disais à ton colocataire que tu n'étais pas très endurant quand tu avais un coup dans le nez, mentit la rouquine en riant.
- Moi je trouve au contraire que j'ai été très généreux avec toi, ton haleine de poney et ta culotte de cheval » envoya Chad d'un ton glacial.

Il passa sous le nez de Léa sans lui accorder un regard et se dirigea vers le réfrigérateur.

« Ca va reste cool, dit la jeune femme, pas la peine de...
- Va prendre ta douche, je crois que ça vaut mieux » coupa le grand blond.

La rouquine n'aurait rien pu faire pour arranger sa bourde : quand Chad était vexé, il était préférable de faire profil bas. Pourtant Milo l'avait prévenue... Honteuse de s'être faite remettre à sa place de la sorte, Léa partit se rhabiller, prendre ses affaires et quitter l'appartement en claquant la porte; le tout en moins de trente secondes.

« Pauvre conne... jura Chad en versant du lait dans son bol de céréales.
- Elle était un peu spéciale mais de ton côté tu n'y es pas allé de main morte non plus, osa Milo.
- Elle a voulu se la jouer; elle a perdu. Point final. Je parie qu'elle était en train de t'allumer avant que j'arrive. »

Milo préféra éviter de répondre et entama vite un autre sujet après s‘être emparé d‘un pancake.

« Alors au fait, ça s'est passé comment pour toi au studio?
- Pour l'instant c'est l'horreur.
- Pourquoi?
- Parce que je bosse! S'exclama Chad. En débarquant là-bas, j'ai cru qu'on pourrait aisément faire ce qu'on voulait parce qu'il y aurait des techniciens partout pour se charger du boulot, mais au contraire ils manquent de monde et du coup c'est Bibi qui fait la moitié des tâches!
- J'avoue, c'est chiant.
- Ouais c'est ça : ne fais pas semblant de compatir toi qui n‘en glande pas une, répliqua le grand blond en retrouvant un air plus détendu. Tu pourrais au moins donner l'impression que tu es là pour gagner ta croûte et pas pour batifoler.
- Comment ça?
- Tu oublies que je t'ai vu le premier jour...
- Ah, avec l'actrice frigide... conclut Milo. Je n'ai pas eu l'occasion de lui reparler depuis. En fait, je cherche actuellement comment je pourrais l'aborder sans qu'elle m'envoie sur les roses, mais sinon je bosse autant que toi mon pote.
- Et avec Morticia?
- C'est qui ça Morticia? S'étonna Milo.
- Tu ne connais pas Morticia dans la famille Adams? Grande, la peau blanche et le maquillage aussi noir que ses cheveux!
- Ok j'ai compris : tu parles de la costumière, Morgane?
- Je n'en sais rien, moi je ne la connais pas : c'est toi qu'elle drague.
- Et pourtant tu devrais lui parler : je suis sûre qu'elle te plairait.
- Ah non désolé, ça a toujours été une règle : jamais essayer de piquer les nanas du meilleur pote. C'est une question d'honneur et de respect ».

Milo partit dans un rire forcé.
« Attends, tu t'emballes vite, dit-il. Morgane n'est pas ma nana.

- Qu'est-ce qu'il te prend? On dirait que tu n‘es pas chaud et que tu essayes de t‘en débarrasser. Elle ne te plaît pas? Je t'accorde qu'elle a l'air complètement barrée, mais sous ses quinze couches de maquillage et ses bas-résilles, elle doit être carrément sexy!
- Certainement, acquiesça Milo sans grande conviction. Elle est gentille, elle a de la conversation, mais... je ne sais pas. Elle essaye trop d'en imposer, d'en mettre plein les yeux avec son look et sa manière de toujours jouer la provocation. Pour moi, elle manque de finesse.
- Et bien il va falloir faire avec parce-que je pense qu'elle ne va pas te lâcher tout de suite! » déclara Chad espiègle.

Après ce petit-déjeuner constructif, les deux jeunes hommes avaient hâte de se laisser vivre dans cette journée sans contrainte. Pas de programme, pas d'horaires, riens que des plaisanteries, des loisirs et des conversations insouciantes. Cela aurait été une journée idéale si un coup de fil inattendu sur le portable de Milo n'avait pas surpris les deux amis en fin de matinée. Le beau brun intrigué mit le haut-parleur pour que Chad puisse assister à l'échange.

« Salut super cascadeur! Entendirent-ils. Chad fut grandement surpris par cette voix suave très agréable à écouter, mais quand son acolyte reconnut l'identité de son interlocutrice, il eut du mal à répliquer.
- Morgane?
- Oh, athlète et perspicace! Décidément tu m'intéresses... Je t'appelle car les scénaristes ont résolu leur problème et le tournage reprend dès cet après-midi.
- Déjà?! S'étonnèrent simultanément les deux garçons.
- Hé oui! Dans le cinéma encore plus qu'ailleurs, le temps c'est de l'argent. Alors fais-toi beau, arbore ton sourire le plus exquis et rendez-vous au studio à 13h00.
- Bon, très bien. Merci pour l'info... Hé au fait, comment as-tu eu mon numéro?
- Bisous, à tout à l'heure! »

Interdit après s'être fait raccroché au nez, Milo prit son ami à témoin.

« Effectivement : un léger manque de finesse » approuva celui-ci entre rire et compassion.

Les deux garçons n'eurent pas le choix : ils se rendirent au studio en début d'après-midi comme on le leur avait vivement recommandé. Les techniciens étaient déjà bien actifs et grouillaient de partout comme dans une fourmilière. Milo et Chad ne savait plus où donner de la tête.

« C'est à croire qu'ils passent leurs nuits ici! » S'étonna le grand blond.

Et pendant qu'il faisait cette remarque, il reconnut l'assistant-réalisateur qui arrivait vers eux en slalomant avec une facilité effarante entre les spots, les caméras et l'équipe technique. Instinctivement, Chad poussa son ami vers l'avant.

« Oups, c'est ton tour aujourd'hui : toi tu bosses, moi je me tire! »

Milo n'eut pas le temps de comprendre ce qui lui arrivait que Chad s'était déjà enfui et Jerry Henson se trouvait à sa hauteur.

« Bonjour. J'ai vu que tu venais d'arriver : tu n'as rien de particulier à faire pour le moment? »

C'était la première fois que Milo croisait cet homme. Pourtant, il était d'une taille si grande qu'il était difficile de le rater. Brun, la quarantaine passée, un style vestimentaire sobre mais élégant, un air sage et posé, des yeux bleus mis en valeur par des lunettes à monture noire; à coup sûr, il devait faire craquer un bon nombre de femmes.

« Heu, oui je suis disponible, déclara Milo après quelques secondes d'absence.
- Parfait, alors suis-moi » l'encouragea l'assistant-réalisateur.

Le jeune homme se mit donc en marche au côté de Jerry. Il n'était pas forcément en totale confiance au début mais l'assistant se présenta poliment et finalement il comprit que sa méfiance n'avait pas lieu d'être et il avait presque hâte de savoir ce qu'on allait lui demander de faire.

De son côté, Chad était heureux d'avoir échappé à l'autorité au moins pour un temps. Il n'était pas particulièrement fier d'avoir jeté son ami en pâture pour pouvoir en arriver là, mais il savait que Milo ne lui en tiendrait pas rigueur.
Après avoir réfléchi quelques instants, il songea que le meilleur endroit où il pourrait se laisser vivre tranquillement était la cachette qu'il avait occupée avec Milo à leur première arrivée sur le lieu du tournage, derrière les décors. Il n'eut pas de mal à s'y rendre et découvrit avec ravissement qu'on y avait entreposé une dizaine de caisses supplémentaires qui faciliteraient encore plus son isolement. Il enjamba maladroitement ce qui traînait par terre et bouscula deux ou trois objets inconnus sans être inquiet qu'on puisse l'entendre -il y a avait peu de chance que cela se produise étant donné le vacarme général qui dominait tout l'étage.