Heureux de ce qu'il avait accompli, Michael s'apprêtait à rentrer chez lui le sourire aux lèvres. La journée s'achevait enfin. Officiellement en tout cas. En réalité, il devait encore programmer la journée du lendemain, revoir quelles scènes allaient être tournées pour décider de l'angle à adopter et quelle vision en donner... La nuit serait courte. Michael Wallams, bien qu'ayant encore des lacunes dans le métier de réalisateur, aimait ce qu'il faisait et il était convaincu qu'il avait une longue carrière devant lui. Son ambition et son sérieux en feraient quelqu'un de respecté et peu importe si pour cela il ne devait passer que des nuits blanches, il était prêt à tous les sacrifices pour atteindre son but.

« Michael! Michael, s'il vous plaît! »
Plongé dans ses pensées, le réalisateur n'avait pas remarqué son assistant qui tentait de le rattraper avant que sa voiture ne démarre.

« Michael, je voulais vous demander une précision sur le tournage de demain.
- Est-ce que cela pourrait attendre jusque là Jerry? J'ai encore beaucoup de choses à organiser et trop peu de temps pour le faire... »

Il allait mettre le moteur en route sans accorder d'avantage d'attention à son assistant quand il réalisa qu'il avait oublié de mettre une chose au point avec son actrice principale.

" Où est Jude? " demanda-t-il soudainement.

Jerry étant incapable de lui donner une réponse rapide, il sortit en trombe de son véhicule et repartit vers le plateau de tournage à vive allure.

" Hé, quelqu'un a -t-il vu Jude Carter? " demanda-t-il à nouveau.

Il eut en guise de réponse un brouhaha de "non" timides, "je ne sais pas", "elle était là il y a quelques minutes". En clair, personne ne savait où elle était.

« Je sens que cette actrice va nous donner du film à retordre... » souffla le trentenaire.

Le lendemain matin, tout le monde était arrivé à l'heure au studio -voire en avance. Malgré la fatigue accumulée, le réalisateur était déjà sur le pied de guerre pour faire activer tout le monde.

« Redressez le micro, il est trop bas! Allez-y avec la lumière! Je vous rappelle, pour ceux que ça intéresse encore, que la scène est censée se dérouler dans une maison en pleine nuit! »

Il enchaînait les directives à droite, à gauche, aux techniciens du son, au scripte, à l'accessoiriste car tout devait aller très vite. Le timing était extrêmement serré et aucune négligence qui pourrait les mettre en retard ne serait tolérée.

« Hé stop! Arrêtez avec les coussins! On n'aura bientôt plus la place d'allonger l'acteur sur le canapé! Les réglages de caméra, c'est fait ?
- Euh, pas encore, lui répondit-on, mais ça se...
- Bon, écoutez-moi tous très attentivement : il est impératif que tout soit en place dans cinq minutes! Ceux qui ne seront pas prêts à la fin de ce délai auront du souci à se faire quant à la prolongation de leur participation à ce tournage. Jerry, les acteurs ont leur texte ?
- Ils font une nouvelle lecture et la maquilleuse peaufine leur éclat, répondit l'assistant-réalisateur en essayant de transmettre un peu de son calme à son interlocuteur.
- Bien, alors aide-moi à faire accélérer les techniciens! » Rétorqua celui-ci.

Etre performant et efficace si tôt et si rapidement était une tâche difficile une bonne partie des techniciens, la plupart n'ayant pas encore une grande expérience des plateaux de tournage. Malgré tout, chacun se démenait pour ne pas se faire distancer et risquer sa place : travailler sur le terrain était une chance en or dans ce domaine.
Ils avaient tous tant de choses à faire et à penser qu'aucun n'aurait pu soupçonner qu'il y avait un intrus quelque part dans la pièce.

Tapi dans l'ombre à l'abri des projecteurs, un jeune homme examinait avec intérêt ce qui se déroulait sous ses yeux. Il ne bougeait pas d'un poil de peur de trahir sa présence. Seules ses paupières papillonnaient, gênées par une mèche de cheveux blonds qui retombait négligemment sur son front. Une barbe de quelques jours courait sur ses joues rebondies. Son tee-shirt légèrement moulant mettait en valeur les muscles de ses bras et son jean délavé lui donnait un air élancé. D'une façon générale, rien dans son apparence n'aurait pu le confondre avec les autres techniciens, plus soignés au demeurant.
Dans une obscurité encore plus intense, un autre homme l'attendait. Ses traits étaient beaucoup plus fins que ceux de son camarade, mais son plus grand charme résidait dans le vert émeraude de ses prunelles. Cela contrastait parfaitement avec sa chevelure de jais.

« Chad! Alors comment ça se passe de l'autre côté? Demanda-t-il.
- C'est tranquille, répondit le grand blond. Ils sont tous débordés, personne ne nous remarquera..." Il cessa son espionnage pour refaire face à son complice. "Bon on répète une dernière fois : si on nous demande on est des cascadeurs. S'ils nous disent qu'ils n'ont pas besoin de nous maintenant, on dit qu'on est venu pour se mettre en condition et voir un peu l'ambiance du tournage. Ok ça marche?
- Oui ça va... »

Le garçon aux yeux verts ne pouvait s'empêcher de sourire sous le coup de l'excitation et ses mains s'agitaient dans tous les sens.

« J'ai l'adrénaline qui monte, c'est dingue!
- Hé attention pas de fausse note Milo! Ne commence pas à faire comme à la maison sinon ils vont nous suspecter direct'! »

Aussi étrange que cela pouvait être, Chad était celui qui avait toutes ces idées folles et dangereuses mais il était aussi le plus raisonné des deux. Milo était un rêveur qui fonctionnait beaucoup plus à l'instinct.

« Relaxe! Clama-t-il pour rassurer son acolyte. Tu nous a amenés là pour qu'on s'amuse oui ou non?
- Mais pour qu'on puisse vraiment s'amuser, il faut qu'on ait l'occasion de rester dans ce studio plus de cinq minutes, donc pour le moment joue-la discrète.
- Oui chef, répondit Milo d'un air insouciant qui laissa croire à Chad qu'il n'avait rien écouté de ses avertissements.
- Bon c'est le moment, déclara malgré tout le grand blond. Je vais sortir par là en premier. Toi tu attends quelques minutes et tu sors de l'autre côté, ok? »

Dès que les choses furent mises en place, Chad s'avança, prêt à affronter la lumière artificielle du grand studio bondé. Il expira un grand coup, réajusta son tee-shirt et passa vainement sa main dans ses cheveux. On aurait juré qu'il allait faire son entrée en scène.

« Hé Chad! Tu as eu l'occasion de voir s'il y avait de splendides actrices tout à l'heure? Demanda Milo alors que la question le démangeait.
- Arrête de fantasmer mon pote! S'exclama Chad en souriant. Tu n'approcheras pas une actrice avant un moment. Teste plutôt une gentille scripte ou une maquilleuse pour commencer. La promotion canapé ça ne se fait pas en trois jours. »

Sur ces mots, il s'élança.

Chad semblait parfaitement à l'aise pour quelqu'un qui avait pour ambition de berner tout le monde. Il avait adopté la démarche nerveuse qu'il avait observée chez les membres de l'équipe technique et cherchait des yeux l'endroit où il serait plus à même de rendre service pour ainsi s'intégrer aux autres.
Du fond de sa cachette, Milo admirait les premiers instants de son ami en tant que « cascadeur ». Il était bluffé par l'aisance avec laquelle s'était fondu dans le décor pour ainsi dire. Chad était un fin stratège et il n'hésitait pas à user régulièrement de cette qualité. Il avait l'intime conviction que c'est ce qui les mènerait loin tous les deux : sa ruse et la belle gueule de Milo.

Ce dernier jeta un dernier coup d'œil aux actes de son blondinet préféré et s'apprêta à entrer dans la partie mais c'est alors que Chad fut interpelé par le réalisateur. Milo ne le connaît pas encore mais le regard qu'il lançait à son acolyte ne présageait rien de bon. Il aurait aimé agir, trouver quelque chose de judicieux à entreprendre pour arranger la situation mais Chad était de dos et impossible de savoir s'il avait les moyens de se sortir de ce pétrin. Finalement, comme si celui-ci avait deviné la panique qui gagnait progressivement Milo, il glissa discrètement sa main dans son dos et leva le pouce pour signifier que tout était sous contrôle.
Temporairement soulagé, le joli brun laissa Chad disparaître derrière le maître des lieux. A présent il était partagé entre l'excitation qui ne l'avait pas toujours pas quitté et la peur de devoir affronter lui aussi un imprévu, mais qu'il ne saurait pas résoudre.

« Trop tard pour avoir des doutes » déclara-t-il pour lui-même avant de sortir brusquement de sa cachette.

Enfin, il était entré sur le plateau. Seulement il réalisa après quelques secondes qu'il avait oublié de se soucier de quelque chose d'important : qu'allait-il faire maintenant? Des dizaines de personnes passaient et repassaient sous son nez et le vacarme engendré par ces mouvements de foule l'empêchait de réfléchir et de trouver un point de repère. Il en était à la troisième planche de bois esquivée quand il aperçut un coin mois fréquenté presque à l'autre extrémité. Il s'y précipita en faisant de son mieux pour ne pas bousculer ses nouveaux collègues et quand il put enfin respirer, il se mit à rire de la situation. Il n'aurait jamais cru que prendre un bain de foule était si impressionnant. Il voulut s'adosser au mur quelques instants pour reprendre ses esprits mais sa tête se tourna soudainement de l'autre côté dans une réaction instinctive et son regard croisa celui d'une autre personne.

A une vingtaine de mètres, face à lui, une jeune femme se tenait assise en travers d'un sofa. Ses yeux changèrent de direction dès qu'elle comprit que Milo l'avait aperçue, mais de son côté le jeune homme était captivé.

Elle portait une tenue assez classique mais dessous Milo imaginait des courbes parfaites. Sa longue chevelure couleur bronze tombait en cascade dans son dos et cachait au passage une partie de son visage au teint de porcelaine estompé par un fard à joue légèrement rosé. Elle avait un nez fin et court, des traits doux et réguliers, des lèvres pâles et de grands yeux bruns mis en valeur par un maquillage dans les tons beiges. Elle aurait pu être absolument magnifique si l'expression qui habitait son visage n'était pas si dure...