Après ce petit-déjeuner constructif, les deux jeunes hommes avaient hâte de se laisser vivre dans cette journée sans contrainte. Pas de programme, pas d'horaires, riens que des plaisanteries, des loisirs et des conversations insouciantes. Cela aurait été une journée idéale si un coup de fil inattendu sur le portable de Milo n'avait pas surpris les deux amis en fin de matinée. Le beau brun intrigué mit le haut-parleur pour que Chad puisse assister à l'échange.

« Salut super cascadeur! Entendirent-ils. Chad fut grandement surpris par cette voix suave très agréable à écouter, mais quand son acolyte reconnut l'identité de son interlocutrice, il eut du mal à répliquer.
- Morgane?
- Oh, athlète et perspicace! Décidément tu m'intéresses... Je t'appelle car les scénaristes ont résolu leur problème et le tournage reprend dès cet après-midi.
- Déjà?! S'étonnèrent simultanément les deux garçons.
- Hé oui! Dans le cinéma encore plus qu'ailleurs, le temps c'est de l'argent. Alors fais-toi beau, arbore ton sourire le plus exquis et rendez-vous au studio à 13h00.
- Bon, très bien. Merci pour l'info... Hé au fait, comment as-tu eu mon numéro?
- Bisous, à tout à l'heure! »

Interdit après s'être fait raccroché au nez, Milo prit son ami à témoin.

« Effectivement : un léger manque de finesse » approuva celui-ci entre rire et compassion.

Les deux garçons n'eurent pas le choix : ils se rendirent au studio en début d'après-midi comme on le leur avait vivement recommandé. Les techniciens étaient déjà bien actifs et grouillaient de partout comme dans une fourmilière. Milo et Chad ne savait plus où donner de la tête.

« C'est à croire qu'ils passent leurs nuits ici! » S'étonna le grand blond.

Et pendant qu'il faisait cette remarque, il reconnut l'assistant-réalisateur qui arrivait vers eux en slalomant avec une facilité effarante entre les spots, les caméras et l'équipe technique. Instinctivement, Chad poussa son ami vers l'avant.

« Oups, c'est ton tour aujourd'hui : toi tu bosses, moi je me tire! »

Milo n'eut pas le temps de comprendre ce qui lui arrivait que Chad s'était déjà enfui et Jerry Henson se trouvait à sa hauteur.

« Bonjour. J'ai vu que tu venais d'arriver : tu n'as rien de particulier à faire pour le moment? »

C'était la première fois que Milo croisait cet homme. Pourtant, il était d'une taille si grande qu'il était difficile de le rater. Brun, la quarantaine passée, un style vestimentaire sobre mais élégant, un air sage et posé, des yeux bleus mis en valeur par des lunettes à monture noire; à coup sûr, il devait faire craquer un bon nombre de femmes.

« Heu, oui je suis disponible, déclara Milo après quelques secondes d'absence.
- Parfait, alors suis-moi » l'encouragea l'assistant-réalisateur.

Le jeune homme se mit donc en marche au côté de Jerry. Il n'était pas forcément en totale confiance au début mais l'assistant se présenta poliment et finalement il comprit que sa méfiance n'avait pas lieu d'être et il avait presque hâte de savoir ce qu'on allait lui demander de faire.

De son côté, Chad était heureux d'avoir échappé à l'autorité au moins pour un temps. Il n'était pas particulièrement fier d'avoir jeté son ami en pâture pour pouvoir en arriver là, mais il savait que Milo ne lui en tiendrait pas rigueur.
Après avoir réfléchi quelques instants, il songea que le meilleur endroit où il pourrait se laisser vivre tranquillement était la cachette qu'il avait occupée avec Milo à leur première arrivée sur le lieu du tournage, derrière les décors. Il n'eut pas de mal à s'y rendre et découvrit avec ravissement qu'on y avait entreposé une dizaine de caisses supplémentaires qui faciliteraient encore plus son isolement. Il enjamba maladroitement ce qui traînait par terre et bouscula deux ou trois objets inconnus sans être inquiet qu'on puisse l'entendre -il y a avait peu de chance que cela se produise étant donné le vacarme général qui dominait tout l'étage.

Mais malheureusement pour lui, Chad aurait dû prendre d'avantage de précautions car un membre de l'équipe le surprit après seulement quelques minutes, et contre toute attente, il semblait ravi de l‘apercevoir...

« Tiens, dit-il, je ne savais qu'on avait déjà envoyé quelqu'un dans le coin. Donc je pense qu'on t'a expliqué : tu sors les caisses de derrière le décor et je viendrai les réceptionner plus tard, ok? »

Chad n'avait pas eu le temps de répondre que ce parfait inconnu était déjà parti, en le laissant planté là. Le grand blond fit aussitôt demi-tour et tenta de rattraper son interlocuteur.

« Hé attends, euh... Tu veux que je fasse quoi, mec? »

Mais c'était peine perdue : l'homme avait disparu de la circulation.

« Débarrasser toutes les caisses? Non mais il craqué ou quoi? S'exclama Chad pour lui-même. Il y en a un paquet et elles doivent peser une tonne! Je rêve, ce n'est pas vrai... »

Et pendant qu'il pestait, il remarqua un nouvel employé à quelques mètres de lui qui était simplement en train de bidouiller un gros micro fixé au bout d'une perche. L'homme lui tournait le dos mais Chad pouvait déjà constater qu'il avait une allure très particulière : la peau sombre, de longues dreadlocks, un jean usé et une chemise blanche basique surmontée d'un surpull sans manches... Mais qu'importe : puisque ce type n'avait pas l'air harassé par la tâche, il allait venir l'aider.

« Hé mec, ça ne te dirait pas de me donner un coup de main? »

A croire que c'était une tradition dans ce studio, Chad ne reçut aucune réponse de son interlocuteur. Celui-ci ne se retourna même pas.

« Hé Bob Marley, je te parle! Insista Chad. Tu viens m'aider oui ou non? »

La personne passablement énervée se retourna enfin, mais Chad comprit aussitôt qu'il avait fait une énorme erreur : sous ce pull épais, il pouvait deviner l'existence d'un bonnet C.

« J'espère que ce n'est pas à moi que tu parles, lui dit la personne en face de lui qui était bel et bien une femme étant donné sa voix aiguë. Non mais pour qui est-ce que tu te prends? »

Quelqu'un de normalement constitué aurait vite fait de s'excuser après un tel affront fait à une créature féminine. Chad, lui, partit dans un fou-rire nerveux qui s'étendit à d'autres techniciens qui avait assisté à cette scène.

« Oh mince! Bob, c'est toi? Qu'est-ce qu'il t'est arrivé mon gars? » Demanda-t-il entre deux éclats de rire.

La jeune métisse souffla, exaspéré d'être tombé sur un nigaud pareil, et choisit de le laisser se couvrir de ridicule seul. Mais celui-ci ne l'entendit pas de cette oreille et entreprit de poursuivre la pauvre fille à travers tout le studio.

« Hé attends-moi! Bob! »

En attendant, Milo était toujours aux côtés de Jerry Henson qui écrivait quelques notes, avachi sur une table. Le jeune homme ne savait pas du tout à quoi s'attendre; il essayait de temps à autre de jeter un coup d'œil par-dessus l'épaule de l'assistant, mais l'obscurité de la pièce l'empêchait de distinguer ce qui était indiqué sur la feuille. Quand Jerry la lui remit entre les mains, il dut froncer les yeux pour distinguer les mots tracés à l'encre bleue.

« Voici une liste de notes que j'aimerais que tu transmettes pour moi. J'ai inscrit le nom de chaque personne concernée au début de chaque indication. Ca va, tu parviens à me relire?
- Oui, je crois que j'y arriverai.
- Super, alors je te laisse. Essaye d'aller vite : dans dix minutes maximum, il faut que tout le monde soit en place avec tous les détails nécessaires. »

Sur ces mots, l'assistant-réalisateur s'envola sans que Milo puisse lui évoquer une objection qui avait son importance : s'il savait relire les noms inscrits sur le papier, il n'a aucune idée de qui était leur propriétaire respectif. Comment allait-il s'en sortir? Il se voyait mal interrompre les techniciens à chaque nouvelle consigne et encore moins hurler les noms à haute voix dans l'espoir que ceux qui se reconnaîtraient réagissent. En parcourant des yeux la salle de long en large, une solution s'offrit à lui : Morgane. Elle était seule du côté des loges et comme d'habitude elle semblait être la seule épargnée par l'état de panique général. C'est en grandes enjambées que Milo rejoignit sa sauveuse.

« Salut Morgane, commença-t-il en essayant de cacher son embêtement.
- « Re-salut » corrigea la jeune femme. Qu'est-ce que je peux faire pour toi? »

Décontenancé, Milo eut un petit moment d'hésitation.

« Pourquoi crois-tu que je viens te voir uniquement pour te demander un service?
- Ce n'est pas le cas peut-être? Répliqua Morgane sans se défaire de son assurance.

- Bon ok, j'avoue que c'est vrai... Mais pas seulement! Se reprit-il pour ne pas paraître impoli. J'aime beaucoup ta compagnie même si tu as lâchement soutiré mon numéro de téléphone à quelqu'un sans me mettre au courant.
- Et le plus horrible dans tout ça, c‘est que je n‘ai aucun remord, confessa la belle brune d‘un large sourire. Alors quel est ton problème? »

Milo la mit au courant de la mission qui lui avait été confiée et Morgane se fit un plaisir secret de l'aider. Après s'être emparée de la feuille de Jerry, elle se mit à explorer chaque recoin du studio d'un pas rapide mais néanmoins gracieux avec son beau brun ténébreux sur les talons. Ce dernier avait d'ailleurs du mal à suivre le rythme. Morgane était conditionnée par le travail au studio comme tous les autres techniciens. La devise de la maison c'était « marche ou crève » et Milo allait devoir s'y plier, que cela lui plu ou non.
Un technicien. Puis deux, puis trois... Tout s'enchaînait à une vitesse telle que le jeune homme avait déjà oublié la plupart des prénoms de ceux qu'il avait informés. De plus, le brouhaha ambiant qui ne désamplifiait pas commençait à lui causer une sacrée migraine. Quand sa complice s'arrêta enfin, il eut l'impression d'avoir couru un marathon comme en témoignaient sa respiration saccadée et ses mollets douloureux.

« Bon voilà, conclut la demoiselle en rendant son papier à Milo. Si tu n'as plus besoin de mes services, je retourne à mes costumes.
- Merci beaucoup Morgane, tu m'as sauvé la vie... Hé mais attends : il reste une dernière note que tu n'as pas cochée!
- Tu n'auras pas besoin de mon aide pour celle-ci... » déclara-t-elle, mystérieuse, avant de disparaître.

Milo examina plus attentivement les notes de l'assistant-réalisateur et son cœur eu un raté : cette ultime consigne était adressée à Jude Carter.